Croyance et rituels liés aux dents
A l’époque des pharaons :
C’est au temps des Pharaons que l’on remarque, déjà, une attention singulière portée à la dentition. Des dents reliées les unes aux autres par un fil d’or ont été découvertes dans un tombeau. Ce stratagème devait faciliter le passage du défunt dans le royaume des morts, et témoigne bien d’une préoccupation esthétique.
Le sourire et la bible :
On retrouve cette importance accordée à l’esthétique dentaire chez les premiers Hébreux, pour qui la dentition complète est une nécessité, un gage de dignité. Parce qu’elle constitue la seule partie apparente de notre squelette, la dentition est mise à l’honneur. Ainsi, s’il advenait qu’un maître endommage la dentition d’un esclave, il devait l’affranchir en guise de compensation
La dentition parvient même à régir l’espace public. C’est en ce sens que l’on peut comprendre les injonctions du Talmud de Babylone : les femmes porteuses d’une dent en or ne doivent pas sortir le jour du Shabbat car dans l’éventualité qu’une mésaventure arrive à la prothèse, il faudrait intervenir pour la réparer et, de ce fait, transgresser l’interdit du travail. Le Talmud relate aussi l’histoire d’une servante, rejetée par son fiancé qui se trouve révulsé par la fausse dent, jugée inesthétique, de sa promise. Le rabbin Ishmael ordonne alors que l’on remplace l’ancienne prothèse par une dent en or. Face à cet artifice qui illumine le visage de sa promise, le fiancé revient sur sa décision.
Hippocrate et la Grèce antique :
Les méthodes utilisées à l’époque pour soigner la bouche et les dents nous sont en partie parvenues grâce aux écrits d’Hippocrate. L’impératif catégorique « d’abord ne pas nuire » fonde la pratique médicale et l’extraction apparait comme le dernier recours. Des pinces en fer et en plomb ont été retrouvées.
Un précurseur, Aristote :
Dans l’Antiquité, un non-spécialiste peut pratiquer des interventions dentaires. Aristote s’oppose à Hippocrate en matière de soins dentaires, qui doivent, selon le philosophe, être confiés à des « docteurs » à part entière. Il fait figure de précurseur même s’il émet l’idée selon laquelle les femmes auraient deux dents de moins que les hommes.
Le culte de la dent blanche ou le Graal des Romains :
Sur le terrain de l’hygiène dentaire, Rome n’a rien à envier à la Grèce. Ainsi, les Romains fortunés offrent des cure-dents en or à leurs invités. En outre, les poudres, à base d’huitres et de coquilles d’oeuf, censées favoriser l’hygiène buccale se répandent largement. D’autres substances astringentes devaient consolider le sourire. Mais il faut aussi que les dents soient blanches. C’est en ce sens que l’on comprend l’utilisation du « nitrum », que l’on peut considérer comme étant le premier processus de blanchissement des dents. La société romaine fait brûler du carbonate de potassium ou de sodium, qu’elle étale sur les dents afin d’en révéler la blancheur et l’éclat.
Les bâtonnets de l’Islam :
Ils fournissent une ébauche aux brosses à dents modernes.
Pour le prophète Mahomet, l’hygiène corporelle est sacrée. Les ablutions relèvent d’un rituel d’assainissement du corps. Le nettoyage des dents à l’aide d’un bâtonnet en bois d’arak, le siwak, est préconisé. Ce rituel dentaire favorise le développement de la médecine dentaire : l’odontologie.
Au XIe siècle, Abulcassis écrit Savoir médical, au sein duquel se trouve le livre XXX, &consacré à la chirurgie dentaire, dans lequel se trouve une description minutieuse des instruments dentaires en usage et chacune de leur spécificité. On y trouve, par exemple, l’évocation d’une rugine qui racle les dents de l’intérieur, tandis qu’une autre les racle de l’extérieur. Le terme tartre est employé pour la première fois dans cette oeuvre magistrale. Certains instruments évoqués sont toujours en usage. C’est la raison pour laquelle on considère Abulcassis comme l’une des pionniers de la parodontologie.
Amérique précolombienne : joaillerie et soins dentaires
La conquête des « Indes occidentales », amorcée par Christophe Colomb en 1492, révèle trois grandes civilisations (aztèque, maya, inca) qui possèdent chacune des spécificités sociales, scientifiques et culturelles. Pourtant, elles partagent une approche commune de la médecine dentaire. On peut parler d’orfèvrerie dentaire dans le sens où les interventions d’ordre esthétique prennent souvent le pas sur le souci thérapeutique. Ainsi, chez les Mayas, la décoration des dents est une vitrine sociale : elle indique un rang. La fixation de pierres précieuses est réalisée grâce à un amalgame de calcium et de phosphore.
La Renaissance : le premier amalgame dentaire
C’est dans un contexte de remise en question des idées reçues en Europe que l’anatomiste flamand Andrés Vesale souligne les erreurs commises par Gallien. Son jugement repose sur un argument : les médecins de l’Antiquité ont fait leurs prescriptions à partir de dissections de singes. Ces tergiversations occultent le champ de la médecine dentaire. Pourtant, la découverte de l’amalgame par Johann Stocker fournit la recette de l’invention. Elle passe alors inaperçue. L’amalgame sera redécouvert trois siècles plus tard : au XXème siècle.
Les Superstitions et préjugés ont la dent dure :
Partout en Europe, de nombreuses échoppes proposent des « produits dérivés dentaires ». Les artistes s’emparent de ces pratiques commerciales fantaisistes. Au XVIe siècle, le poète bavarois Hans Sachs se moque des colporteurs qui vantent les mérites des plantes contre des vers dentaires et des onguents tueurs de puces. Durant la même période, la peintre hollandais Lucas de Leyde peint des officines de « dentistes ». Les visages des patients sont ravagés et déformés par le douleur. Malgré des avancées scientifiques considérables, la Renaissance peine à éradiquer les superstitions et les préjugés qui concernent les dentistes.
Les charlatans du Pont Neuf :
Au XVIIème et XVIIIème siècles, les charlatans et les barbiers-arracheurs de dents exercent en toute impunité à Paris. L’orviétan, substance mise au point par le plus célèbre d’entre eux, l’Italien Orvieto Ferranti Contugi, est censée anesthésier la douleur que provoque l’extraction d’une dent. Ses affaires sont florissantes mais une concurrence chimérique, qui promet par exemple de faire repousser les dents tombées en frictionnant la gencive nue avec de la cervelle de lièvre rôtie, apparait dans le même temps.
C’est en 1699 qu’un édit met fin aux fantaisies du pont Neuf. À présent, les « experts dentaires » doivent attester d’examens théoriques et pratiques spécifiques.
Evolution moderne de la dentisterie :
L’émergence d’un personnage hors du commun, Pierre Fauchard, va hisser l’odontologie au rang de discipline indépendante et va être à l’origine de nombreuses et découvertes et innovations.
Pierre Fauchard : le précurseur français de la dentisterie moderne
Né en 1678 à Rennes, Pierre Fauchard débute sa carrière de chirurgien-dentiste dans la marine.
A l’époque, les praticiens embarqués à bord des navires du roi, représentent l’élite de la profession. Ils quittent ensuite “la Royale” avant de s’installer successivement à Angers, Nantes, Rennes, Tours puis Paris en 1719.
Rapidement, Pierre Fauchard acquière une notoriété qu’il renforce par la publication d’un ouvrage en deux tomes, le chirurgien-dentiste ou Traité des dents. Cette encyclopédie doublée d’un manuel pratique, connait un succès considérable à travers toute l’Europe.
Il enseigne l’art et la manière de confectionner des prothèses complètes (dentiers) pour les deux maxillaires et invente aussi la dent à pivot ainsi que le bridge.
De la position du dentiste lors d’une intervention à la réimplantation des dents arrachées, rien n’échappe à sa vigilance visionnaire. Il construit même le fauteuil dentaire fonctionnel.
A sa disparition survenue le 21 mars 1761, Pierre Fauchard a ouvert un large boulevard à la dentisterie moderne. Les fantaisies dentaires vont baisser le rideau pour faire place aux dents de la sagesse.
La nouvelle version de l’amalgame dentaire :
Dès 1819 en Angleterre, les praticiens commencent à se servir de pâtes pour l’obturation des cavités dentaires. Excellent dans son principe, le remède n’en est pas moins nocif. Composée d’étain, de bismuth, de plomb et de mercure, cette pâte représente un concentré de toxiques. La bouche devient alors un terrain miné. A ce péril majeur, s’ajoutent les nuisances consécutives à son insertion. Avant son usage, l’amalgame doit être porté à haute température. Outre la dent traitée, la chair des joues, la langue et les gencives sortent mortifiées d’une telle agression thermique.
En 1826, la découverte de la “pâte d’argent”met un terme à ce supplice incendiaire. En effet, cette pâte peut être posée sur la dent à température ambiante. La composition de ce nouveau matériau d’obturation reste voisine de celle des amalgames dentaires encore utilisés de nos jours.
Les balbutiements de l’anesthésie dentaire :
En 1844, Horace Wells, dentiste dans le Connecticut, se fait ainsi arracher une dent sans anesthésie mais sous gaz hilarant, après en avoir observé les effets. Son triomphe ne fera cependant pas long feu. Quatre années plus tard, il tente de réitérer l’opération sur un chirurgien de Harvard devant un public d’étudiants. Le savant cobaye hurlera de douleur. Ridiculisé, Wells se suicidera.
En 1884, l’ophtalmologiste viennois, Karl Koller est le premier médecin à utiliser la cocaïne dans le cadre de l’anesthésie locale. Il faut attendre 1905 et la découverte de la procaïne à Munich par les allemands Einhorn et Wittställer, pour voir émerger la technique de l’anesthésie locale dans le domaine de la dentisterie.
La fameuse roulette du dentiste :
Dans le domaine instrumental, l’invention de James B. Morrisson connait un succès immédiat. En 1871 il produit une roulette à pédale. Grace à cet appareil, les caries sont traitées avec une efficacité accrues tout en réduisant les souffrances du patient. L’année suivante, la firme Ash and Sons entreprend sa fabrication industrielle. Ces tours à pied atteignent une vitesse de rotation de 2000 tours à la minute (contre 200 000 tours aujourd’hui !).
La radiographie ou le troisième oeil du dentiste :
Le véritable virage virage survient le 8 novembre 1895 à Würzburg en Allemagne. Le docteur Wilhelm Röntgen annonce la découverte des rayons X. Elle n’est cependant pas opérationnelle dès le départ. La première machine à radiographie tient du génial bricolage. Un courant de haute tension délivré par une bobine d’induction circule dans l’appareil sans la moindre isolation, ce qui n’était pas dépourvu de danger. Il faut attendre 1937 pour que la firme Siemens produise des installations en série assorties de toutes les mesures de sécurité. Le progrès continue de marquer le pas. Le premier appareil de radiographie panoramique réalisé par l’usine anglaise Watson date de 1960 et se nomme “panographe”. Le Finnois Paatero l’améliore ensuite, car son procédé permet une représentation radiographique de l’ensemble des plans de la cavité buccale. Désormais la radiographie ouvre un troisième oeil.
Mais les flamboiements de la technique ne suffisent pas à faire table rase du passé.
Dans l’esprit du patient, les angoisses transgénérationnelles ont la vie dure, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.