Les nouveaux codes de la relation dentiste-patient

 

Extrait de L’ Information Dentaire, Mai 2011

La relation avec le patient est souvent pleine d’imprévus, au point que bien des praticiens se réfugient dans une approche technique de leur exercice. Stressés et déstabilisés par des craintes irrationnelles qu’ils ne peuvent anticiper en raison d’une formation exclusivement scientifique, ils passent à côté de nombreuses demandes de soins.

Celles-ci restent informulées ou sont exprimées indirectement, ce qui rend leur interprétation difficile. Face à ces « bugs » relationnels qui empêchent d’envisager des soins pourtant nécessaires, la tentation de recourir aux outils marketing est bien réelle. Pourtant, la communication la plus efficace repose sur la création d’une relation d’empathie et de confiance avec un interlocuteur angoissé et rarement conscient de l’état de sa bouche.

 

Cartographie de la peur

Comment créer une relation fondée sur la confiance et le lâcher-prise malgré le poids des désillusions de nos débuts ? Le premier pas est de recenser les craintes et blocages qui provoquent des réactions de rejet frustrantes. Une cartographie de la peur permet de poser la liste des angoisses et des non-dits … des deux côtés de la barrière.

En effet, la douleur physique a pratiquement disparu de nos cabinets, sans pour autant réduire la « trouille » inspirée par le rendez-vous chez le dentiste. Bercés par de mauvais souvenirs familiaux, nos patients gardent tapi au fond de leur inconscient un scénario catastrophe. Ils restent ancrés dans des clichés immémoriaux et le praticien, qui ne prend pas au sérieux cette panique, est coupé de l’univers personnel du patient, censé lui confier sa bouche. Comment pourrait-il le convaincre de s’investir (à tous les sens du terme) s’il ne comprend pas d’où provient cette réticence ? Résultat, il s’isole dans sa tour d’ivoire d’expert et assène un discours scientifique qui passe complètement au-dessus de la tête de son interlocuteur.

 

Six types de craintes recensées

  1. Les peurs transgénérationnelles sont les idées reçues transmises par les parents. Le patient conditionné par un héritage de santé bucco-dentaire inadapté, associe ses problèmes dentaires à la fatalité. Dans les cas les plus sérieux, il ne s’autorise pas à dépasser ses préjugés de peur de « trahir » sa famille sur le plan symbolique. Un message d’espoir fondé sur des critères strictement rationnels est difficile à entendre.
  2. Les peurs acquises sont les expériences vécues qui restent tapies au fond de l’inconscient. Les mauvais souvenirs du dentiste de son enfance peuvent influencer la perception des soins dentaires. De même, certaines réflexions déplacées des parents : « le docteur ne va pas te faire mal si tu es sage », et autres menaces de piqure, donnent du fil à retordre aux praticiens.
  3. Le rejet de l’accès à la sphère intime : un parfait inconnu est tout près de vous, au point de sentir son parfum. Vous êtes en situation de domination, bouche grande ouverte, équipé d’instruments inquiétants. Vous cherchez donc à fuir ou à abréger l’épreuve … c’est la perception des soins dentaires ressentie par le patient non préparé par l’équipe soignante !
  4. Toute approche thérapeutique brutale peut être interprétée par le patient comme un viol de son espace intime.
  5. La peur de la communication et des infections : tout lieu de soins peut donner lieu à des infections nosocomiales. Le patient ne nous remet pas en cause personnellement, il a juste peur des « microbes ». la consommation fréquente d’émission TV et d’articles alarmistes donne aussi lieu à des réactions irrationnelles…
  6. La peur de l’arnaque : les soins dentaires sont les seuls à donner lieu à un important « reste à charge » qui varie d’un praticien à l’autre … ce qui n’est pas le cas dans la plupart des disciplines médicales. Cette « anomalie » entraîne autant de suspicion que les clichés dont la profession est victime : le dentiste coûte cher, il fait mal (même si ce n’est plus le cas) donc sa probité est au mieux incertaine. De nombreuses émissions de TV (dernière en date : émission Capitale sur M6 Janvier 2011) réactivent en permanence ces clichés obsolètes.

 

Les signaux d’alerte sont variés comme en témoigne une liste non exhaustive :

  • Soumission suspecte
  • Logorrhée pour retarder l’échéance
  • Gestes mal coordonnés
  • Changement de tonalité de la voix (plutôt vers l’aigu)
  • Agressivité dirigée contre l’assistante
  • Somatisations
  • Douleurs postopératoires atypiques…

Bien sûr, ce malaise est contagieux et le praticien est stressé à son tour. Il ne sera pas au sommet de son art car la peur du patient réactive des angoisses ou des conflits intérieurs enfouis au fond de son propre inconscient.

 

Les mots qui fâchent

Résultat, sa maladresse relationnelle peut le conduire à réaliser involontairement des gestes invasifs ou à commettre des gaffes difficiles à oublier. Évitez de :

-         Passer directement aux soins en oubliant le sas de transition du bureau (un temps de connexion est indispensable)

-         Faire preuve d’une autorité mal placée, du type « bon on ouvre la bouche »

-         Infantiliser un interlocuteur déjà très mal à l’aise. L’humiliation qui peut en découler est contre-productive

Les praticiens ont tendance à reproduire en toute bonne foi des mots enseignés à la faculté, ils croient respecter l’intelligence de leur interlocuteur en employant des termes médicaux. Le risque d’échec est important avec des mots qui fâchent comme « dévitaliser », « dépulper », « extraction », « contention »… Même « avulsion » peut se transformer en convulsion chez un patient dont l’imagination est déformée par la crainte. L’emploi de ces termes glace vos interlocuteurs, déjà convaincus à priori qu’ils vont avoir mal. Malgré la présentation de panoramiques et vos efforts pédagogiques, ils vivront votre proposition de restauration comme une mutilation. Il est vrai que, pour une frange de patients éclairés, vos efforts de formation continue et un équipement high-tech seront les meilleurs ambassadeurs de savoir-faire. Les autres en revanche, risquent de revivre des expériences passées cuisantes sur votre fauteuil ou pire, de sur-interpréter votre diagnostic.

 

Un jeu de poker menteur

On assiste alors à un jeu de poker menteur : déstabilisé par la dimension irrationnelle des réactions de son interlocuteur, le praticien monologue face à un mur. Le patient dit gentiment « oui docteur » mais n’a nullement l’intention d’obéir aux injonctions d’un expert incapable de le mettre en confiance, car niant complètement ses émotions. Quand le courant ne passe pas, deux frustrations se confrontent :

-         Le praticien qui se sent remis en cause dans ses compétences professionnelles et son autorité médicale,

-         Le patient qui a le sentiment de passer à côté de solutions restauratrices, dont il a besoin, mais qui en veut au praticien de n’avoir pas été assez pédagogue et rassurant.

Le danger est la création d’un cercle vicieux : une technicisation de l’exercice qui entraîne un retrait relationnel. Faute de communiquer avec le patient, le praticien est réduit au « bridge de 15h ». Le patient de son côté n’a aucune envie de confier ses problèmes bucco-dentaires à un homme-machine. D’où des échanges convenus qui conduisent à un isolement peu propice à l’épanouissement professionnel.

Quelques réflexes vous permettront de sortir de l’ornière et de convaincre bien des patients réfractaires :

-         L’emploi de termes non anxiogènes et compréhensibles par le commun des mortels

-         Une relecture attentive de leur fiche médicale (d’où vient ce blocage ?)

-         Le recours systématique aux substances pré-anesthésiantes (pour ceux qui ont peur d’avoir mal)

-         Un rôle renforcé de l’assistante auprès du patient : écoute de ses confidences, reformulation de vos propos (vérifier sa compréhension de votre diagnostic, appréhender les évènements de sa vie qui ont justifié le report de soins …).

Anticiper la survenue de ces incidents nous permet de travailler dans la plénitude de notre talent et de nouer une véritable alliance thérapeutique, clé de la fidélisation de nos patients.

 

Construire une relation humaine

Il faut privilégier une écoute active qui permettra au patient de surmonter facilement ses peurs et d’accepter un plan de soins, plutôt que de le confronter aux artifices d’une démarche marketing, contraire à l’éthique médicale et qui méconnaît les blocages psychologiques responsables de la majorité des refus.

La relation praticien-patient induit des rapports dominant-dominé que l’on croit effacés par la dimension technique de l’acte de soin. Ce modèle paternaliste, transmis par notre culture hospitalo-universitaire, perpétue des modèles de comportement obsolètes en dehors du cabinet. Cette condescendance involontaire empêche le patient de livrer les clés de sa personnalité qui pourraient nous aider à le convaincre d’améliorer sa vie quotidienne avec un bridge ou des implants.

Un chirurgien-dentiste, fier de son exercice, est une sorte de magicien de la bouche, un professionnel de santé conscient du bien-être qu’il peut apporter au patient.

Quatre conditions sont toutefois nécessaires à l’adhésion du patient à un plan de traitement :

  1. Croire en sa vocation de soignant, chargé de la reconstruction de sourires « abîmés par la vie »
  2. Croire en ses compétences techniques entretenues par une formation régulière
  3. Prendre le temps d’écouter les messages « brouillés » par les blocages de ses patients
  4. Être capable de faire preuve d’empathie

Le succès passe par la construction d’une relation humaine et non l’application de recettes marketing venues de la grande consommation.

 

La première fois

L’assistante est le partenaire indispensable d’un accueil efficace grâce à son rôle d’écoute, de « déminage » relationnel et de suivi du patient après les soins au fauteuil. Son rôle débute avec l’accueil téléphonique : elle aussi, doit assurer une écoute active, poser les questions permettant de situer le patient, évaluer son niveau de douleur et le rassurer. Si l’équipe est vraiment débordée, il est préférable de mettre le téléphone sur répondeur. Un patient « expédié », alors qu’il souffre, aura une mauvaise impression du cabinet et des préjugés défavorables lors du rendez-vous.

La première consultation joue le même rôle qu’une « première fois » dans la vie réelle : sa réussite marque le début d’une relation durable et confiante. Une froideur médicale n’est pas de mise dans un cabinet dentaire, il faut au contraire tout faire pour que le patient se sente à l’aise avec l’équipe soignante :

  •          Il doit être accueilli comme un hôte, dans un cadre lumineux et apaisant,
  •          Il est important de lui faire visiter la salle de stérilisation pour le sécuriser,
  •          Il ne faut pas hésiter à lui offrir un café et à tenir à sa disposition une fontaine d’eau de source,
  •          Il doit se sentir en sécurité et pris en charge (« nous sommes là, rien ne peut vous arriver »)

L’objectif est de créer un « état de grâce » pour mieux le connaître en :

  •          Se posant au calme, sans interruption, pratiquer l’écoute active, voire la prise de note au cours de l’entretien
  •          Manifestant son intérêt pour la personne qui vous fait face

Si le praticien communique avec sincérité, fait preuve d’empathie et s’identifie à son interlocuteur, le patient se sentira autorisé à parler et donnera les codes d’accès de sa santé dentaire. Bien sûr, mieux vaut le regarder en face, s’asseoir en face de lui et éviter la position d’infériorité liée au fauteuil. Il nous fera davantage confiance qu’à un praticien « speedé » et glacial.

 

Pour dépasser les blocages, il est essentiel de se concentrer sur :

-         Une approche en douceur de l’intimité buccale

-         Une dédramatisation et une démystification des soins dentaires

 

Implantologie : une révolution médicale

Le chirurgien-dentiste accompagne ses patients au cours des différentes phases de sa vie, de l’enfance à la chute des premières dents définitives. Nous sommes les seuls soignants à bénéficier de cette continuité dans les soins. Cette spécificité nous permet d’aider nos patients à surmonter la perte d’estime de soi liée au vieillissement, notamment en proposant des implants. En effet, la perte des dents rapproche de la mort. La personne qui enlève sa prothèse adjointe totale, chaque soir dans sa salle de bains, se sent diminuée. Elle voit son visage s’effondrer, se rétracter brutalement et ressent parfois un dégoût d’elle-même qui exerce une influence désastreuse sur sa qualité de vie.

Grâce aux implants, les limites de la vieillesse sont repoussées sur les plans fonctionnel et gustatif. Sans son dentier, corps étranger dans sa bouche et symbole du grand âge, la personne retrouve son vrai sourire… et donc l’envie de séduire. La bouche est aussi le siège de la sensualité et des préliminaires amoureux. Le baiser est le symbole d’un échange intime ce qui peut expliquer que les relations sexuelles tarifiées excluent ce genre de préliminaire. Une personne âgée peut craindre de s’abandonner à cet élan amoureux de peur que l’autre ne « sente » son dentier ou que sa prothèse ne bouge.

L’effet des implants sur la sexualité de nos patients évoque celui du Viagra, ils permettent de restaurer la confiance en soi au point d’induire une re-virilisation spectaculaire. Certains praticiens se censurent en n’osant pas proposer à leurs patients âgés – qu’ils croient résignés à leur sort, le recours aux implants. En fait, ces patients n’osent pas, la plupart du temps, s’exprimer car ce sujet est très personnel et douloureux. Nous pouvons les aider, à condition de leur apporter la certitude que leur vie peut changer.

 

Un rôle sociétal

Retrouver la plénitude de son sourire est très important dans une société qui privilégie l’apparence sur les plans affectif et professionnel. Nous pouvons ainsi renforcer notre rôle de soignant en intégrant cette fonction sociétale. Le recours accru à l’implantologie permet de rompre avec cette réputation tenace dans l’imaginaire collectif d’ »arracheurs de dents ».

Nous devenons des reconstructeurs qui restaurent l’intégrité fonctionnelle et esthétique. Loin de notre image castratrice, nous jouons un rôle rephallisateur et pouvons aider les seniors à profiter de leur troisième âge dans les meilleures conditions.

Proposer une alliance thérapeutique à son patient revient à prendre en compte l’ensemble de ses besoins thérapeutiques et esthétique. En repositionnant le praticien au cœur de l’échiquier médical, nous assumons notre vocation de soignant dans toute sa dimension humaine. Cet engagement constitue la clé d’un exercice serein et rentable, sans censure ni manipulation.